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Trésor des collections patrimoniales : la place Fédérale

Étals de marché colorés, rassemblement bruyant de la foule venant manifester ou cris joyeux des enfants gambadant sous les jets de la fontaine : voilà comment nous imaginons le plus souvent la place Fédérale. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? Non.

12.10.2022 | Bibliothèque Am Guisanplatz, Christine Rohr

La photo, prise en 2009, montre les jets d’eau de la fontaine qui se trouve sur la place Fédérale. (Photo : Béatrice Devènes, Services du Parlement)
Devant le Palais fédéral en 2009, la fontaine à jets d’eau. (Photo : Béatrice Devènes, Services du Parlement)

Dans les collections de la Bibliothèque Am Guisanplatz, certaines prises de vue des archives photographiques de Walter Rutishauser montrent une place Fédérale totalement occupée par les véhicules qui y sont stationnés. Une image qui peut nous sembler bien étrange si l’on a oublié que la place Fédérale, telle que nous la connaissons, a été inaugurée en 2004. Telle un tapis devant le Palais fédéral, elle est recouverte aujourd’hui de 3600 dalles de pierre de Vals, du gneiss sur lequel miroite d’avril à octobre l’eau des 26 jets de sa fontaine, un par canton. De nuit, un bandeau de lumière sillonne la place, reliant visuellement la Bärenplatz au Palais fédéral.

Durant les travaux d’aménagement, les ouvriers sont tombés, à environ 50 centimètres de profondeur, sur des restes archéologiques révélant la structure antérieure de la place. Des fondations moyenâgeuses ont ainsi pu être réutilisées : elles ont accueilli l’installation technique souterraine de la fontaine. Pour le reste, partout sont apparus des éléments historiques intéressants et à protéger.

Le Judentor, par exemple était au Moyen Âge l’une des portes de la ville. Elle menait à la Judengasse – aujourd’hui Kochergasse – et au cimetière juif qui, au XIIIe siècle, se trouvait à l’emplacement actuel du Palais du Parlement et du Palais fédéral Est. Ces vestiges d’une communauté juive sont d’autant plus intéressants qu’ils sont rares en ville de Berne. Également disparu sans laisser de traces, le couvent Saint-Michel-en-l’Île construit plus tard à cet endroit. Sécularisé en 1528 lors de la Réforme, il avait été ensuite utilisé quelques temps comme hôpital.

Naissance d’une place

À l’époque médiévale, le plan de la ville de Berne s’articulait essentiellement autour de rues et de ruelles ; aucune place n’était prévue. C’est en démolissant des bâtiments existants qu’il a été possible d’en créer et que sont apparues la place de la Collégiale (Münsterplatz), celle de l’Hôtel-de-ville (Rathausplatz) et la place Fédérale – la Bundesplatz. Mais il faudra attendre les premières décennies du XXe siècle avant que cette dernière devienne l’espace libre à multi-usages, entouré de bâtiments étatiques, que nous connaissons.

Le Palais fédéral, érigé au sud de la place, a été construit par étapes : l’aile ouest (construite entre 1852 et 1857) et l’aile est (entre 1884 et 1892) ont été complétées entre 1894 et 1902 d’après les plans de l’architecte Hans Wilhelm Auer pour devenir le Palais fédéral actuel. Comme l’a fait remarquer le Bernois Jean-Daniel Gross, préposé à la protection des monuments historiques [Jean-Daniel Gross in : Les 100 ans du bâtiment de la Banque nationale à Berne], la construction de ce monumental Palais du Parlement a éveillé le besoin d’une place qui lui fasse honneur.

Après la démolition de quelques bâtiments, la Banque nationale suisse (1907), la Caisse d’épargne et de prêt (1913) et le Crédit Suisse (1919) ont construit en ce lieu proche du pouvoir de décision politique leurs bâtiments représentatifs monumentaux. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la Banque nationale porte l’adresse Bundesplatz 1, tandis que le Palais fédéral est au numéro 3.

L’espace libre, encerclé de bâtiments, qui forme la place devant le Palais fédéral était né. Il allait désormais accueillir le marché hebdomadaire. En 1927, Adolphe Tièche déplorait à ce sujet : « La place Fédérale qui s’offre à nos yeux est aussi froide et ennuyeuse que le Palais fédéral. » Il faut dire que l’architecte aurait préféré un agencement plus artistique, avec une fontaine à jet d’eau monumental ou même un bassin dans lequel les bâtiments auraient pu se refléter [Ad. Tièche in : Schweizer Bauzeitung 89 (17), 1927]. Mais la réalité est venue doucher ses espoirs : les automobiles étaient alors un thème prioritaire de la planification urbaine.

Des places de stationnement

Dès 1930, des citoyens se sont mobilisés pour demander la levée de ce qui semble manifestement avoir été une interdiction de stationner sur la place Fédérale [interpellation Fellenberg]. Et ils ont obtenu gain de cause : la place Fédérale est ainsi devenue un parking, une situation qui a perduré, comme on peut le voir sur la photo de Walter Rutishauser, jusque à 2003/04, date à laquelle la place a été réaménagée.

Une utilisation encore plus radicale de cet espace en faveur du trafic urbain était d’ailleurs prévue dans les années 1960. Heureusement, le projet d’un axe routier à quatre pistes entre la Bundesgasse et la Kochergasse a été rejeté dans les urnes en septembre 1970.

Dans les années 1980, l’idée d’une place Fédérale sans voiture a encore été rejetée, car on ne voulait pas renoncer au revenu généré par les parcomètres. Cependant, les voix réclamant un réaménagement de fond de la place Fédérale se faisaient plus pressantes, jusqu’à ce qu’un concours soit enfin lancé en 1991.

Faire de la place sur la place

Le projet « La place qui fait de la place » des architectes Stephan Mundwiler, Christian Stauffenegger et Ruedi Stutz emporte la victoire, mais sa mise en œuvre est reportée en raison de difficultés financières, des questions restées en suspens concernant le stationnement des véhicules et du dépôt d’un contre-projet. Il faudra attendre 2003 pour que la ville de Berne, propriétaire du terrain, alloue les crédits nécessaires.

La fontaine au 26 jets d’eau, qui est venue compléter le projet originel, fait aujourd’hui la joie de la population et des visiteurs, d’avril à octobre. L’éclairage, désormais installé les façades des bâtiments, et non plus sur des lampadaires, de même que l’orientation des dalles de pierre ne laissent aucun doute quant au monument principal de la place.

Une sélection des prises de vue du photographe Walter Rutishauser, qui a travaillé de nombreuses années au Palais fédéral, est présentée en 2022/23 à la Bibliothèque Am Guisanplatz à l’occasion de l’exposition Walter Rutishauser : photographe. Points forts de la collection.


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